En travaillant sur la prise de distance depuis un point de vue autocentré jusquâà un point de vue hétéro-centré, les auteurs parviennent à objectiver certains critères du possible et du vraisemblable dans la construction de la mise en récit. 2003. Il se fonde en particulier sur un topos, principe rhétorique essentiel, qui guide lâutilisation du paradeigma : « Les arguments par les fables sont plus faciles à se procurer ; mais les arguments par les faits historiques sont le plus utile pour la délibération ; car le plus souvent lâavenir ressemble au passé » (Rhét. Discours sociaux et régimes de rationalité, Lâappel à la pitié dans lâespace public, Le dispositif victimaire et sa disqualification, Repenser la « dimension argumentative » du discours, Pratiques discursives dans le champ de lâécole, La nomination et ses enjeux socio-politiques, Approches empiriques de lâargumentation, Analyses du discours et engagement du chercheur, Lâargumentation dans le discours politique, Lâanalyse du discours entre critique et argumentation, Approches de lâAD et de lâargumentation au Brésil, Rhetorical criticism. 11  Il faut bien sûr préciser que cette différence de choix rhétorique nâempêche nullement que certains EH soient évoqués par allusion au sein même dâun texte qui utilise massivement lâamplification, comme le fait lâexposé des motifs de la loi Taubira. Adrian Veidt (aussi connu sous le pseudonyme d'Ozymandias), « dans sa tentative d’instaurer un règne social du surhomme », correspond au roi-philosophe de la République platonicienne : homme d'affaires très influent, il est aussi considéré comme l'homme le plus intelligent du monde. Les articles réunis dans ce second numéro spécial de la revue Postures s’inscrivent à leur manière dans le temps de l’utopie. Du geste au voyage mental (Paris : Odile Jacob), 233-246, Aristote. Ainsi, lâutopie nâest jamais loin de son contraire : la dystopie (ou contre-utopie). Le texte est rédigé en 1998, la loi est votée en 2001. René Char, Fureur et ⦠Quoi quâil en soit, lâexigence psychologique qui est à lâÅuvre dans le récit demande au témoin la mise en place de techniques rhétoriques permettant de rendre vivant un événement que la communauté nâa plus forcément en mémoire. Alors il semble, et même il devient certain que lâespérance est justement ce par où lâobscur sâéclaire. L'auteur entend ainsi mettre en garde le lecteur en montrant les conséquences néfastes dune idéologie (ou dune pratique) présente à notre époque1. Cette mise en disposition de lâauditoire sur le long terme, tournée vers un horizon dâattente ou un destin commun, nâest pas sans lien avec une conception technique de lâutopie défendue par Miguel Abensour2 (2010 ; cf. Câest que lâutopie, en principe, se voulait la concrétisation des idéaux de morale et de rationalité aux fondements de la nature humaine (créée par un Dieu infaillible, lâhumanité serait bien sûr le siège de ces qualités); en contaminant lâidéal, la dystopie cherche à établir que de telles valeurs sont une imposture, puisquâelles mèneraient à une perte dâindividualité. Les traités, bulles et codes en consignent l'intention. 2010. Ainsi, loin de jeter un regard objectif sur le pessimisme de l’esprit fin de siècle, La Joie de vivre, nous apprend Roldan, se laisse jouer par la mythologie eschatologique de son temps; le roman fonctionnerait donc tel un dialogue entre le réel de l’histoire et les constructions narratives de son temps. Les droits de lâhomme en discours, Argumentation et Analyse du Discours 4, http://aad.revues.org/763, Danblon, Emmanuelle Victor Ferry, Loïc Nicolas & Benoît Sans. Le tournant de lâanalyse du discours dans les études littéraires (Toulouse : Presses Universitaires du Mirail), Amossy, Ruth. Collapsologie 3. Traité de rhétorique à usage des historiens (Paris : Garnier), Le Bozec, Yves, 2002, « Lâhypotypose : un essai de définition formelle », Lâinformation grammaticale 92, 3-7, Levy, Carlos & Laurent Pernot (éds). La contre-utopie ou dystopie : La contre utopie prend le contre-pied de lâutopie en ce sens quâelle offre à la réflexion du lecteur le spectacle dâune société invivableOn la trouve dans les romans d'anticipation . En effet, lâutopie est lâexpression imaginaire de la mise en Åuvre dâune société idéale qui accomplirait le bonheur de tous. Make Room! 8  Bien dâautres éléments linguistiques, rhétoriques et historiques séparent ces deux textes. Il sâagit, dâune part, du préambule de la Déclaration universelle des droits de lâhomme proclamée à Genève en 1948 ; dâautre part de lâexposé des motifs à la proposition de Loi dite « Taubira » pour la condamnation historique de lâesclavage et sa reconnaissance comme crime contre lâhumanité. Claudio Magris, Utopie et désenchantement. 6 Voir la contribution de Pierre Macherey dans le présent volume : Macherey (P.), « Utopie et quotidi ; 7 Perec (G.), Lâinfra-ordinaire, Paris, Seuil, 1989, p. 11. La péroraison soulignée dans lâexposé des motifs à la Loi Taubira permet de cerner le contraste entre les représentations des notions « esclavagiste » et « abolitionniste ». La visée argumentative au sens de Ruth Amossy (2012) est bien une décision qui sera qualifiée dâutile du fait que lâauditoire pourra effectuer une comparaison, ou mieux, une analogie, entre le cas historique et celui qui fait débat aujourdâhui. Paradoxalement, alors que ces derniers repensaient la valeur et les limites d’un concept vieux d’un demi-siècle (le terme ayant été forgé par Thomas More en 1516), le contexte dans lequel s’est tenu le colloque « Utopie / Dystopie : entre imaginaire et réalité » démontrait violemment l’actualité de leurs réflexions. S’intéressant à la « fictionnalisation large et fidèle » de la doctrine du philosophe Schopenhauer par les pessimistes parisiens de la fin du XIXe siècle, Roldan fouille les écrits de Zola à la recherche des stratégies narratives par lesquelles le chef de file du naturalisme a su transformer par la négative, à l’instar de nombre de ses contemporains, l’utopie ascétique de la métaphysique schopenhauerienne. Signifiant « sans lieu » ou « nulle part », le terme dâ« utopie » a été inventé par Thomas More au début du XVIáµ siècle, mais lâutopie a reçu un héritage multiple, antique, biblique et médiéval. Levy et Pernot 1997). Il me semble maintenant que ce diptyque renvoie à une fonction plus générale (et sans doute plus ancienne) de la rhétorique des sociétés humaines. Ils dissimulent les assassinats protégés par le Code noir [â¦].Les millions de morts établissent le crime. Elle se caractériserait par la création dâun « horizon dâattente » montrant une direction générale pour lâensemble des décisions dâune communauté1. In this paper, dystopia is analyzed as the storytelling of a historical example in its function of guide towards utopia. Ajoutez vos théories et analyses de fans en commentaires ! Ce point de vue est parfaitement compatible avec la conception aristotélicienne de la rhétorique défendue ici, qui ne sâintéresse quâaux affaires humaines et qui ne prétend pas construire de système philosophique. Au fil de ses recherches, ce dernier découvre le mythe là où le programme naturaliste zolien se devait d’accomplir une « cueillette en règle de documents historiques, scientifiques, médicaux ou idéologiques ». Il est lié à la place quâil occupe dans la mémoire de la communauté. 205. Après une étude de la structure même des dystopies, Marc Ross Gaudreault, dans « Immobilisme et surpopulation : la mise en garde d’Harry Harrison », s'intéresse plus précisément à un cas d'espèce, le roman Make Room! Poursuivant Semprun au cœur d’une France pour qui mai 1968 aurait été plus qu’un simple événement à commémorer (Nora, 1997), David Desrosiers constate les possibilités autobiographiques d’un genre qui s’amuse à la frontière des possibles. Jâai emprunté le titre de cet exposé à un mot de Jean-Claude Carrière, écrivain, auteur dramatique français, connu notamment pour avoir été le scénariste de certains films de Luis Buñuel et pour avoir été lâauteur du scénario dâun téléfilm qui a eu en France quelque succès et qui est sorti sous le titre La Controverse de Valladolid. 7  Sur la notion de présence chez Perelman et un exposé théorique récent, je renvoie à lâexcellente mise au point de Ruth Amossy (2009). Lâintérêt de lâEH est quâil est « vrai » au sens le plus commun du terme. À chaque effondrement des preuves, le poète répond par une salve d'avenir. Dans le second cas, la longue période de lâesclavage constitue là aussi un paradigme pour les traitements inhumains. Dans son article « La possibilité d’un corps : Autoportraits de David Nebreda », Olivier Masson aborde cette œuvre très contemporaine, mais aussi atemporelle dans sa quotidienneté. Les factions et l'autoritarisme. En guise de conclusion, l’Association Étudiante des Cycles Supérieurs en Études Littéraires et la revue Postures souhaitent remercier chaleureusement les étudiants, les professeurs, les membres des comités de rédaction et de correction, Étienne Lepage et les comédiens ayant participé à la lecture dystopique de Dernier Acte ainsi que les partenaires financiers qui ont permis à ce colloque de connaître un tel succès et à cette publication de voir le jour. 17Les deux textes évoquent chacun un événement historique dont lâexemplarité remplit une visée argumentative. Bouchard, Marie-Pierre et Després, Elaine. Mais l'optimisme et le pessimisme ne sont pas forcément là où l'on pourrait les croire. Le bonheur. Elle peut tout à la fois désigner un genre littéraire, qui décrit des sociétés ⦠Tout d’abord, intéressés par les constructions narratives du passé, Sébastien Roldan et David Desrosiers revisitent l’histoire de la France : celle du pessimisme de l’esprit fin de siècle (du XIXe siècle) et celle, plus contemporaine, du Paris révolutionnaire de mai 1968, afin d’en autopsier les mythes, les schèmes collectifs et les imaginaires qui les sous-tendent. Devant ce constat toutefois, David Desrosiers demeure insatisfait. à la lumière de ce qui vient dâêtre dit, nous pouvons à ce stade, isoler un nouveau critère de la qualité de lâEH dans le débat houleux qui fait rage à propos des concurrences de lâhistoire et de la mémoire. Lorsquâil nây a plus de témoin vivant, on passe à la mémoire culturelle, et les figures de lâamplification (cf. Si lâanalogie est acceptée (ce qui nâest jamais garanti), la décision coulera de source. Dans les années 1950, cette utopie s'oppose à une dystopie, une contre-autopie, celle de robots plus intelligents que les hommes et qui au bout du compte finiraient par prendre le pouvoir. L'utopie a pour vocation de projeter un idéal social, non de le réaliser : métaphoriquement, l'utopie ressemble à une ligne d'horizon vers laquelle l'on tend, sans jamais l'atteindre. D’abord paru dans : Bouchard, Marie-Pierre et Després, Elaine. Comme nous lâavons vu plus haut, cette caractéristique les rapproche à la fois du genre délibératif et du genre épidictique et participent dâune possible fonction utopique pour les communautés8. Câest en ces termes que lâon peut décrire la figure de lâhypotypose (Le Bozec 2002), sur laquelle je reviendrai. Utopie/Dystopie: entre imaginaire et réalité, http://revuepostures.com/fr/articles/presentation-hd2, Présentation - Utopie/Dystopie: entre imaginaire et réalité, L’Algarabie de Jorge Semprun, entre uchronie et autobiographie, Dystopie et spectre du totalitarisme dans, La possibilité d’un corps : Autoportraits de David Nebreda, Immobilisme et surpopulation : la mise en garde d’Harry Harrison, Renaître de cendres radioactives : la solution apocalyptique de Ray Bradbury, C’est pour votre bien que je tuerai trois millions de personnes. La visée argumentative poursuivie est plus directement juridique que dans le cas de la Déclaration des Droits de lâHomme, puisquâelle est utilisée explicitement dans un « exposé des motifs » pour un projet de loi. En voulant imposer un modèle de perfection et de bonheur identique pour tous, elle risque de se transformer en un univers cauchemardesque, assez proche des univers totalitaires. Lâargumentation dans le discours (Paris : Colin), Arcangeli, Margherita & Jérôme Dokic. Le photographe Karen Khachaturov fait dialoguer utopie et dystopie dans son univers pop aux tons pastel. 2009. De lâutopie à la dystopie il nây a parfois quâun pas. À travers une analyse du mode opératoire des superhéros, il en arrive à les décrire comme des « utopistes pragmatiques » dans la mesure où ceux-ci agissent concrètement sur le réel qu'ils espèrent libérer de ses criminels. La posture dystopique est donc par définition optimiste, malgré ce qu'on pourrait croire. Utopie et politique : la représentation du pouvoir dans l'Utopie. L'utopie, c'est ne pas se soumettre aux choses telles qu'elles sont et lutter pour ce qu'elles devraient être. Guy devient alors un hors la loi. De fait, la cité idéale de l'utopie est plus souvent associée à un paradigme architectural qu'à un ⦠Lâhomme rhétorique. En médecine, une dystopie est une anormalité d'un organe. Le capitalisme, tant dénoncé par les contestations étudiantes des années 1960, était encore une fois pointé du doigt — cette fois sous la forme du néo-libéralisme — et accusé de corrompre une institution née des idéaux d’une population qui a cherché à se doter d’une seconde université francophone, accessible à tous. 2Lâauteur de la Rhétorique étudie lâexemple (paradeigma) du point de vue de ses vertus persuasives. Aporétique, elle se comprend sous la forme d’une tension qui, transposée dans le champ de l’action, se manifeste par la quête. Fonctions et pratiques (Besançon : Presses Universitaires de Franche-Comté), Danblon, Emmanuelle. Une dystopie peut également être considérée, entre autres, comme une utopie qui vire au cauchemar et conduit donc à une contre-utopie. Loin dâune position relativiste dure, qui écarterait du revers de la main le critère de la vérité en histoire, je propose de considérer, du point de vue des qualités rhétoriques, le critère de la véracité, au sens défini par Williams4 (2006). Le Passeur de Lois Lowry, paru en 1993 aux États-Unis, est généralement présenté comme la première dystopie à destination des adolescents (Lirado). Il importe donc que lâévénement passé soit bien présent dans la mémoire de la communauté, pour quâil puisse offrir des éléments précis (dans le cas de Denys, le fait de demander une garde) qui se transformeront en indices, supports de lâanalogie. En ce sens, l’analyse de Bellemare-Page nous confronte, au moyen de la « paratopie », à la vision manichéenne du monde portée par Makine, ce dramaturge pour qui « [l]es rapports de force entre le littéraire et le politique ont une consonance particulière […], legs de l’expérience soviétique ». Questionnements contemporains au regard des Lumières. Or, la fonction de l’utopie, selon Paul Ricoeur (1985), est justement de « projeter l’imagination hors du réel dans un ailleurs qui est aussi un nulle part ». Le XXe siècle et ses régimes totalitaires ont d'ailleurs inspiré de nombreux créateurs. « Voyage mental dans le temps : quand lâimagination nous engage », Alain Berthoz & Claude Debru (éds), Anticipation et prédiction. Les licences, contrats, monopoles d'Etat en attestent lâorganisation. Ils gomment les râles dâesclaves jetés, lestés, par-dessus bord. Et ceux qui affrontèrent la barbarie absolue en emportant par-delà les mers et au-delà de lâhorreur, traditions et valeurs, principes et mythes, règles et croyances, en inventant des chants, des contes, des langues, des rites, des dieux, des savoirs et des techniques sur un continent inconnu, ceux qui survécurent à la traversée apocalyptique à fond de cale, tous repères dissous, ceux dont les pulsions de vie furent si puissantes quâelles vainquirent lâanéantissement, ceux-là sont dispensés dâavoir à démontrer leur humanité.La France, qui fut esclavagiste avant d'être abolitionniste, patrie des droits de lâhomme ternie par les ombres et les « misères des lumières », redonnera éclat et grandeur à son prestige aux yeux du monde en sâinclinant la première devant la mémoire des victimes de ce crime orphelin (je souligne).10.